A chaque procès portant sur une infraction de travail dissimulé (voir article du Monde en date du 8 mars 2022 sur le procès pénal de l’entreprise DELIVEROO poursuivie pour travail dissimulé), je me demande si les secteurs de la formation et de l’enseignement ne seront pas à l’avenir plus impactés par le volet pénal de cette infraction assez classique.
Après presque 20 ans d’exercice de mon métier d’Avocat dans les secteurs de la formation et de l’enseignement, je dois dire que je suis assez stupéfait de constater que les pouvoirs publics demeurent souvent en état de cécité juridique devant la multiplication évidente des formateurs et enseignants dits « indépendants » au service des établissements d’enseignement et de formation.
Cette situation est particulièrement troublante, car je constate que la plupart des schémas économiques mis en œuvre aujourd’hui dans les secteurs de la formation et de l’enseignement reposent sur le recours à des enseignants ou formateurs qui relèvent du statut de travailleurs indépendant.
En soi, ces schémas économiques sont parfaitement viables lorsqu’il s’agit véritablement d’un travailleur dit « indépendant », c’est-à-dire sans lien de subordination juridique avec l’établissement d’enseignement ou l’organisme de formation.
Sur le plan pratique, ce type de schéma fonctionne très bien lorsque l’enseignant ou le formateur est vraiment « indépendant », c’est-à-dire lorsqu’il ne travaille pas sous les directives et le contrôle de l’établissement d’enseignement ou de l’organisme de formation.
Le faisceau d’indices
Bien souvent, lorsque je constate qu’il existe en pratique un potentiel faisceau d’indices conduisant à constater l’absence de travail « indépendant », il m’est rétorqué qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, que tout a été sécurisé car l’établissement d’enseignement ou l’organisme de formation a veillé à ce que l’enseignant ou le formateur dit « indépendant » ait lui-même d’autres clients, et qu’il ne travaille pas exclusivement pour ledit établissement ou ledit organisme de formation.
Comme s’il suffisait de considérer que l’indépendance économique permet de gérer complètement l’indépendance sur le plan juridique !
Cette formidable croyance populaire est relayée de façon quasi-automatique par de nombreux acteurs de la formation et de l’enseignement que je rencontre au quotidien.
Pourtant, l’indépendance économique n’est pas exclusive d’une dépendance juridique, ou plutôt d’une subordination juridique.
En effet, que dire des nombreux enseignants ou formateurs qui sont indépendants sur le plan économique (parce qu’ils ont d’autres clients), mais qui interviennent sous les directives et le contrôle de l’organisme ou de l’établissement qui fait appel à eux pour réaliser des cours ou des actions de formation ?
Les indices sont classiques et bien connus des spécialistes du droit social :
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le fait de fixer des horaires de cours ou de formation à l’enseignant ou au formateur,
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et/ou le fait d’inclure l’enseignant ou le formateur dans un service organisé par l’organisme ou l’établissement :
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procédures internes à l’organisme ou l’établissement,
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et/ou protocoles d’évaluation à respecter,
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et/ou documentation interne ou programmes à respecter
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et/ou le fait de demander à l’enseignant ou au formateur de se conformer à un certain nombre de règles internes à l’organisme ou l’établissement (comme le Règlement Intérieur par exemple),
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et/ou le fait de fixer le montant de la rémunération selon une grille de rémunération déterminée par l’organisme ou l’établissement,
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et/ou le fait de rembourser des frais professionnels selon une grille applicable à tous les intervenants au sein de l’organisme ou l’établissement,
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et/ou le fait de fournir la totalité ou la quasi-totalité du matériel et des supports nécessaires à l’enseignant ou au formateur pour réaliser ses cours et ses formations
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le fait de faire apparaître l’enseignant ou le formateur comme appartenant à l’organisme ou l’établissement dans le cadre de la communication interne et/ou externe (site internet notamment), etc.
Les dérapages incontrôlés
Par ailleurs, il me paraît important d’alerter une nouvelle fois sur les dérapages incontrôlés de la part des organismes de formation qui ont eu tendance à vouloir trop en faire pour tenter de mieux satisfaire les exigences du référentiel QUALIOPI, sans tenir compte des aspects juridiques susvisés.
A ce stade, il ne s’agit pas de faire du catastrophisme mais de rappeler que les potentielles situations de travail dissimulé ne doivent pas être négligées dans les secteurs de l’enseignement et de la formation, d’où l’intérêt d’appeler les organismes de formation et les établissements d’enseignement à faire toujours preuve de plus de vigilance, en veillant à entretenir des relations de « client à fournisseur » avec les enseignants et les formateurs dits « indépendants ».
Parmi les bonnes pratiques à encourager, il y a celles qui consistent à solliciter des contrats de prestation de services ou, a minima des devis de la part des intervenants indépendants, lesquels doivent déterminer autant que possible :
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le contenu de la prestation d’enseignement ou de formation,
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son volume horaire,
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les modalités pédagogiques et/ou d’évaluation mises en œuvre,
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le matériel et/ou les éventuels supports fournis,
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son prix,
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les modalités de facturation des frais,
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les délais de paiement,
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et/ou leurs propres conditions générales de vente par exemple.