Née d’une passion pour les neurosciences et d’une volonté de partage, La Fabrique à Neurones a pour mission de rendre accessibles les connaissances sur le cerveau. Sa fondatrice, Marie Prevost, nous éclaire sur ce qu’il se passe dans notre cerveau lorsqu’on apprend, et évoque les rôles majeurs du feedback et de l’erreur sur nos capacités cognitives. Comment « mieux apprendre » ? Et comment les neurosciences peuvent nous aider dans cette démarche ? Réponses.
Pourquoi avoir fondé La Fabrique à Neurones ?
La Fabrique à Neurones est née de mon désir de transmettre des connaissances sur le fonctionnement du cerveau. Ayant développé une aisance particulière à lire les travaux des chercheurs et à déchiffrer les recherches en neurosciences, j’ai eu envie de partager mes connaissances au plus grand nombre. Je suis partie d’un constat : beaucoup de personnes, aujourd’hui, n’ont pas accès facilement à toutes les recherches en neurosciences, en raison de la barrière linguistique, du jargon technique, ou de la difficulté à trouver ces informations. Mon but était d’améliorer le quotidien des uns et des autres grâce à ces connaissances.
J’ai toujours souhaité travailler dans la recherche en neurosciences. Mon parcours universitaire a débuté par des études en biologie. Durant mon master, j’ai suivi une option en neurosciences dirigée par un professeur remarquable. Par la suite, j’ai réalisé ma thèse au Canada, à l’Université McGill, suivie d’un post-doctorat durant trois ans. De retour en France, à Grenoble, j’ai travaillé deux ans en neurosciences, en CDD.
Toutefois, je n’arrivais pas à trouver un poste permanent. Face à la pénurie de CDI dans la recherche et l’enseignement, et parce que je n’étais pas prête à repartir parcourir le monde, j’ai eu l’idée de fondée La Fabrique à Neurones.
Et donc, que se passe-t-il dans le cerveau lorsque l’on apprend ?
C’est une question ambitieuse à laquelle je ne pourrais répondre de façon exhaustive, parce que je ne sais pas tout. En revanche, il y a de nombreux chercheurs talentueux qui ont bien vulgarisé le sujet. C’est le cas de Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’Éducation nationale et scientifique de renom, avec son livre « Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines », notamment. Mais d’autres tels qu’Olivier Houdé, Jean-Philippe Lachaux ou encore Grégoire Borst ont également publiés sur les capacités cognitives.
Mais pour répondre à la question : le cerveau déploie beaucoup d’énergie quand il ne sait pas faire quelque chose. Au début de l’apprentissage, les connexions neuronales nécessaires ne sont pas encore bien établies ni solides. Plus on comprend ce que l’on doit apprendre et plus on s’exerce et pratique, plus notre cerveau se transforme : les connexions se renforcent là où elles sont utiles. Dans certains cas, de nouveaux neurones peuvent même se créer si le besoin s’en fait sentir.
Au fur et à mesure que l’apprentissage progresse, les efforts diminuent et l’exécution de la tâche devient fluide et automatique. À ce stade, moins de zones du cerveau sont sollicitées pour accomplir l’activité. Cela signifie que l’apprentissage est acquis, la connaissance est stockée et la compétence maîtrisée. On peut alors réutiliser ces connaissances ou compétences de manière efficace. En résumé, le cerveau se réorganise, renforce les connexions existantes et peut même créer de nouveaux neurones pour intégrer cette nouvelle activité ou compétence.
Quel est le rôle du feedback dans l’apprentissage ?
Crucial. Une plateforme de learning comme Didask l’illustre parfaitement, car elle met en avant l’importance du feedback. Notre cerveau fonctionne en prédisant constamment ce qui va se passer et en comparant ces prédictions avec la réalité. Lorsqu’il y a un décalage entre la prédiction et ce qui se passe réellement, cela crée un effet de surprise, ce qui est essentiel pour l’apprentissage. Ce mécanisme permet au cerveau de se corriger en temps réel.
Pendant l’apprentissage, nous faisons continuellement des prédictions et recevons des feedbacks internes naturels. Si nous sommes conscients de nos erreurs, notre cerveau se corrige automatiquement. Cependant, au début de l’apprentissage, nous ne sommes souvent pas capables de détecter nos erreurs seuls. C’est là qu’intervient l’importance d’un guide, qu’il s’agisse d’un professeur, d’un mentor ou d’un formateur, pour nous montrer nos erreurs et nous orienter vers des solutions plus efficaces, plus performantes.
Pour que le feedback soit vraiment efficace, il doit être immédiat. Un feedback donné plusieurs semaines après l’erreur perd de son utilité, car le processus neuronal associé à cet apprentissage est déjà terminé. L’engagement et la concentration nécessaires pour comprendre et corriger l’erreur doivent être maintenus dans l’instant. De plus, le feedback doit être constructif : un simple retour « vrai / faux » ne suffit pas. Il doit fournir des indications précises sur ce qui n’a pas fonctionné et comment améliorer la performance.
Et celui de l’erreur ?
L’erreur joue également un rôle fondamental dans l’apprentissage, car elle crée un effet de surprise. J’aime bien utiliser ce terme d’ « effet de surprise » parce que l’erreur est perçue comme négative, alors qu’elle est, en réalité, un signal précieux qui nous indique que notre prédiction n’était pas correcte. Lorsque nous commettons une erreur, cela provoque un moment de surprise qui nous force à sortir de nos certitudes et à reconnaître que nous ne maîtrisons pas encore totalement un sujet. C’est cette remise en question qui est bénéfique, car elle nous pousse à apprendre, à corriger nos conceptions et à approfondir notre compréhension.
Parfois, l’erreur peut même mener à des découvertes inattendues, des solutions ou des idées que nous n’aurions pas envisagées autrement. C’est la beauté de l’erreur ou de la surprise : elle nous pousse à explorer des chemins imprévus, stimulant notre curiosité et notre capacité d’innovation.
De quelle manière le vieillissement affecte-t-il nos capacités d’apprentissage ?
Les recherches montrent que nos fonctions cognitives, comme la concentration et la mémorisation, atteignent leur pic de performance à différents moments de la vie. Par exemple, la mémoire à court terme, essentielle pour intégrer de nouvelles informations, atteint son apogée entre 30 et 40 ans. Après cette période, bien qu’elle continue de fonctionner, elle n’est plus à son maximum. Cela explique pourquoi les personnes âgées peuvent ressentir un ralentissement et rencontrer plus de difficultés à apprendre de nouvelles choses, même si cela reste tout à fait possible et bénéfique pour maintenir des fonctions cognitives en bonne santé.
Continuer à apprendre tout au long de la vie est bénéfique pour le cerveau, car cela aide à maintenir ses performances. Mais effectivement, ce processus devient moins automatique avec l’âge. Dans le cas de pathologies comme la maladie d’Alzheimer, qui affecte directement l’hippocampe, responsable de la mémoire à court terme, l’apprentissage de nouvelles informations devient impossible.
Il existe de nombreux « mythes » sur l’apprentissage, notamment corrélés à l’âge, ou à la vitesse d’apprentissage. Par exemple, l’idée qu’il y a un âge limite pour l’apprentissage, situé aux alentours de 7 ans, n’est plus soutenue par les chercheurs en neurosciences. Bien qu’il soit vrai que certaines périodes de la vie, notamment la petite enfance, sont plus propices à l’apprentissage, cela ne signifie pas qu’il est impossible d’apprendre plus tard. Par exemple, l’apprentissage des langues et de l’écriture est plus facile pour les jeunes enfants, mais reste possible, bien que plus difficile, pour les adultes. Disons qu’il y a des âges facilitant, mais mon côté humaniste aimerait dire que c’est possible d’apprendre à tout âge.
Dans un contexte plus professionnel, qu’est-ce que les neurosciences cognitives apportent au développement des compétences des salariés ?
Les neurosciences cognitives apportent une compréhension approfondie du fonctionnement humain, ce qui constitue leur grande force dans le développement des compétences des salariés. De nombreux outils pratiques et opérationnels existent déjà, mais leur efficacité est parfois difficile à évaluer de manière rigoureuse. Tout l’intérêt des neurosciences, selon moi, est qu’elles permettent de rendre les individus et les équipes plus autonomes en leur fournissant une meilleure compréhension de leur fonctionnement, de leur environnement, de leurs réactions. Elles aident à comprendre les raisons derrière certaines réactions et difficultés, comme le manque de motivation, les problèmes de concentration, ou les défis dans les interactions sociales au travail. En expliquant ces phénomènes, les neurosciences permettent aux individus de se sentir moins coupables et plus confiants dans leurs capacités.
Tous les êtres humains sont construits de façon similaire. Comprendre et légitimer, en un sens, ses propres réactions permet de déculpabiliser les individus en montrant que certaines difficultés sont normales et partagées par tous. Ce qui, in fine, rend le quotidien de chacun beaucoup plus agréable.
Enfin, avez-vous des conseils pour “mieux apprendre” ?
Beaucoup. Mais pour n’en citer que quelques-uns, je dirai, dans un premier temps : apprendre par petits paquets et dans le temps, au lieu de tout apprendre la veille d’un examen ou d’une évaluation. Apprendre à la dernière minute, c’est dur, parce que le cerveau sature, tandis qu’apprendre par petites sessions régulières permet au cerveau de mieux assimiler et retenir l’information, évitant ainsi la saturation cognitive. Et c’est un conseil valable, que l’on ait 12 ou 80 ans.
Mon deuxième conseil serait de s’auto-évaluer régulièrement. Cela permet de faire un bilan, d’identifier ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas encore. En cherchant à combler ces lacunes, on renforce l’apprentissage de manière plus efficace que par la simple relecture de fiches ou de livres.Née d’une passion pour les neurosciences et d’une volonté de partage, La Fabrique à Neurones a pour mission de rendre accessibles les connaissances sur le cerveau. Sa fondatrice, Marie Prevost, nous éclaire sur ce qu’il se passe dans notre cerveau lorsqu’on apprend, et évoque les rôles majeurs du feedback et de l’erreur sur nos capacités cognitives. Comment « mieux apprendre » ? Et comment les neurosciences peuvent nous aider dans cette démarche ? Réponses.