Peut-on vraiment garantir la qualité pédagogique des formations financées par des fonds publics ? Sans référentiels pédagogiques prétablis, cet objectif semble difficile à atteindre. Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation à Centre Inffo, analyse les limites du cadre juridique actuel et explore les perspectives d’une standardisation par des référentiels. Décryptage.
L’idée selon laquelle le contrôle de la qualité pédagogique des organismes de formation doit être une priorité, notamment pour garantir le bon usage des fonds publics, gagne du terrain. Cependant, dans un marché ouvert où prolifère une grande diversité de programmes — allant des compétences techniques au développement personnel, en passant par l’apprentissage des langues — ainsi que des formations de durées et de niveaux variés, la standardisation d’un contrôle pédagogique semble utopique.
L’Etat exempté du contrôle de la qualité pédagogique
Chaque prestataire, en fonction de sa discipline, de son secteur d’activité et du contenu des formations proposées, adopte ses propres méthodes et techniques pédagogiques. L’État n’a pas la compétence pour en évaluer la pertinence.
D’ailleurs, son contrôle administratif et financier se limite aux « moyens financiers, techniques et pédagogiques, à l’exclusion des qualités pédagogiques »[1]. Les quelque cent-quarante agents de contrôle se concentrent avant tout sur la conformité réglementaire.
Quant au contrôle de la qualité, l’État l’a confié à d’autres acteurs. Cependant, aucun d’entre eux n’assure vraiment un contrôle de la qualité pédagogique, au sens strict.
Référentiels pédagogiques, le maillon manquant du système qualité
Tout d’abord, les organismes certificateurs Qualiopi se basent sur un référentiel national fixé par voie réglementaire[2], et non sur des référentiels pédagogiques préétablis et associés aux formations dispensées par le prestataire. A l’évidence, les auditeurs Qualiopi ne peuvent pas s’immiscer dans le choix des techniques et méthodes pédagogiques mises en œuvre, ces dernières étant laissés à la discrétion de chaque prestataire.
Les financeurs, bien que légitimes à s’immiscer dans la qualité pédagogique des formations qu’ils financent, se heurtent au même écueil. En l’absence de référentiels pédagogiques pour les formations financées, l’accent est principalement mis, du moins pour les tiers payants (Caisse de dépôts, Opco et At-Pro) sur la conformité matérielle et administrative de leur exécution. Sur le plan réglementaire, les financeurs doivent « s’assurer de la qualité des actions financées et de leur conformité aux obligations légales et conventionnelles ». La notion de qualité reste ici générique, sans précision sur l’inclusion éventuelle de la qualité pédagogique. A noter qu’elle est associée à la conformité « légale, réglementaire et conventionnelle », et son contrôle pouvant même se confondre avec le « contrôle de service fait », puisqu’il est précisé que les deux peuvent être réalisés « conjointement » [3]. Ce qui peut être source d’ambiguité.
Le seul contrôle pédagogique explicitement visé par la loi concerne les formations en apprentissage mais uniquement lorsqu’elles préparent des diplômes des ministères certificateurs[4]. Cependant, là aussi, la réglementation n’exige aucun référentiel pédagogique associé à la formation par apprentissage financée. En effet, « le contrôle porte sur la mise en œuvre de la formation au regard du référentiel du diplôme concerné »[5].
De la nécessité d’exiger des référentiels pédagogiques associés aux certifications professionnelles ?
Pour pallier ces lacunes, ne serait-il pas pertinent d’imposer des référentiels pédagogiques pour les formations financées par des fonds publics, en particulier celles qui préparent à des certifications professionnelles ?
La réforme de 2018, qui lie désormais les financements publics à la préparation de certifications, a principalement renforcé les critères d’enregistrement de ces dernières. Ainsi, elle impose trois référentiels (compétences, évaluation et activité) pour les certifications inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), et deux (compétences et évaluation) pour celles du Répertoire spécifique (RS).
Cependant, il n’existe aucune obligation concernant les référentiels pédagogiques associés aux certifications enregistrées. N’est-ce pas là le véritable point mort dans le système actuel ? Après tout, ce sont les parcours de formation qui profitent des financements publics, et non les certifications elles-mêmes. Or, assurer la valeur d’usage des certifications sur le marché du travail ne garantit en rien la qualité pédagogique des formations qui mènent à leur obtention.
Ne faut-il pas responsabiliser les détenteurs de certifications professionnelles sur la manière de dispenser les formations qui leur sont associées ?
Pédagogie ou andragogie, le risque de confusion
L’instauration de référentiels pédagogiques, minutieusement conçus par les certificateurs et validés avec rigueur par France Compétences lors de l’enregistrement des certifications, pourrait devenir un socle solide pour structurer les contrôles futurs des formations associées, notamment par les financeurs. Une telle approche assurerait que les formations financées s’inscrivent en parfaite adéquation avec la certification visée, tout en respectant les standards pédagogiques exigés et établis. Elle offrirait ainsi une cohérence renforcée et une crédibilité accrue à l’ensemble du dispositif.
Cependant, bien qu’ambitieuse, cette approche comporte également des risques. En confondant pédagogie — qui, d’un point de vue étymologique, se rapporte à l’enseignement des enfants — et andragogie, spécifique à la formation des adultes, ne risque-t-on pas de négliger les particularités propres à cette dernière ?
L’andragogie repose en effet sur l’autonomie et l’expérience des apprenants adultes, mettant l’accent sur leur rôle actif et leur engagement dans le processus d’apprentissage. Des référentiels trop rigides pourraient limiter la flexibilité essentielle à leur épanouissement et à leur développement.
Un équilibre devra être trouvé entre ces référentiels et la liberté laissée aux formateurs, afin d’éviter toute normalisation excessive. Toutefois, à bien y réfléchir, cet équilibre ne serait-il pas, en fin de compte, lui-même une utopie ?
[1] Article L6361-3 du Code du travail
[2] Décret n° 2019-565 du 6 juin 2019
[3] Article R6316-7 du Code du travail