Entretien avec Hervé Jouanneau, directeur formation de France Travail

Hervé Jouanneau, directeur du développement des compétences dans les territoires, France Travail


Hervé Jouanneau est directeur du développement des compétences dans les territoires au sein de France Travail. Il fait le point pour Management de la formation sur le rôle de l’établissement dans l’aide à la formation des demandeurs d’emploi – en particulier la formation avant embauche (POEI). Un dispositif précieux pour les entreprises, qui fera bientôt l’objet d’une nouvelle plateforme en ligne destinée à simplifier les démarches.

 

Comment la formation professionnelle s’insère-t-elle dans le nouveau périmètre institutionnel issu de la création de France Travail ?

Concrètement, l’arrivée de France Travail signifie que nous allons davantage ouvrir nos outils et dispositifs de financement à nos collègues du Réseau pour l’emploi, en particulier les 3 opérateurs du Conseil en évolution professionnelle (CEP) que sont les missions locales, les Cap emploi et l’Apec. Par exemple, les missions locales étaient cantonnées jusqu’à présent aux fonds des programmes régionaux de formation. Aujourd’hui, nous allons faire en sorte qu’elles puissent avoir accès aux financements de type « POEI ».

L’idée est ainsi de pouvoir faire, avec ces 3 partenaires, de la prospection partagée des entreprises. Un conseiller de mission locale, de Cap emploi ou de l’Apec pourra ainsi aller voir un employeur et lui proposer des profils pertinents de demandeurs d’emploi, avec des financements appropriés pour assurer leur formation. Les entreprises vont donc davantage voir venir vers elles les conseillers de ces structures, avec des propositions plus intéressantes pour elles.

Parallèlement, nous aurons demain une Académie France Travail pour développer les compétences des conseillers – ceux de France Travail mais aussi ceux des autres acteurs du Réseau pour l’emploi.

Il faut souligner que le sujet « formation » s’inscrit pour nous dans une continuité avec le Plan d’investissement dans les compétences (PIC). Nous abordons un nouveau cycle du PIC, qui va élargir la base du public visé, dans deux directions. Il s’agit d’abord d’inclure les bénéficiaires du RSA, les personnes en situation de handicap, les seniors de plus de 55 ans – les personnes les plus fragiles. Mais l’enjeu du PIC est également de former pour répondre aux besoins de recrutement des entreprises sur les métiers en tension.

Globalement, la création de France Travail représente une vraie évolution dans la continuité, qui va permettre de mobiliser l’ensemble de la palette d’outils à disposition en faveur de l’insertion. Et l’insertion passe bien souvent par la formation.

 

Quelles sont aujourd’hui les ambitions de France Travail en matière de développement des compétences des demandeurs d’emploi ?

Notre ambition est de permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi, généralement peu ou pas diplômées, d’accéder aux formations qui vont leur permettre de se remettre à niveau. Il y a deux types de profils : les demandeurs d’emploi qu’il faut accompagner pour les remettre sur le chemin de la qualification, dans une démarche à plus long terme ; et ceux qui doivent simplement combler un écart de compétences sur un point précis. Pour ces derniers, nous déployons des dispositifs qui vont leur permettre d’être adaptés au poste auquel ils postulent dans l’entreprise. Pour l’employeur, cela permet de réduire les délais de recrutement sur un poste donné. Les deux côtés de la recherche d’emploi sont pris en compte : les demandeurs d’emploi comme les entreprises.

Cette politique se fait en articulation avec les conseils régionaux, qui ont, je le rappelle, la compétence sur la formation. Ils sont, pour la plupart, en train de signer leurs plans régionaux d’investissement dans les compétences. Le but est de faire en sorte que nos achats de formation se complètent, pour répondre de la meilleure façon possible à ce double besoin – besoin de compétences pour les entreprises, besoin d’insertion pour les publics fragiles. Par exemple, si nous sommes dans une région où l’on identifie des besoins de formation au français, il faudra soit que le conseil régional achète les formations nécessaires, soit, s’il ne peut pas le faire, que nous nous coordonnions pour le faire.

 

Qu’est-ce qui change pour les entreprises du point de vue du financement de la formation professionnelle ? Les dispositifs de formation avant embauche (POEI, POEC, AFPR…) restent-ils les mêmes ?

La préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC) continue à exister. Mais deux dispositifs vont fusionner : il s’agit de la préparation opérationnelle à l’emploi individuelle (POEI, pour les contrats d’au moins 1 an) et l’Action de formation préalable au recrutement (AFPR, pour les contrats plus courts). Il s’agit de rendre ces outils plus simples et plus lisibles. Aujourd’hui, le dispositif AFPR-POEI bénéficie déjà à 90 000 personnes par an, et nous visons une augmentation de 25% cette année.

Par ailleurs, France Travail prépare la mise en place, à l’automne, d’un service numérique destiné à favoriser la rencontre entre les demandeurs d’emploi, les entreprises et les organismes de formation, autour de la formation à l’embauche. Il s’agira d’une plateforme que nous souhaitons simple, lisible, accessible au grand public. La formation à l’embauche est un dispositif très performant – entre 85% et 87% des personnes qui suivent ces parcours accèdent à l’emploi. Les gens qui empruntent ces « sas » de formation restent dans les entreprises, et ces dernières sont largement satisfaites.

Bien sûr, les formations plus longues sont importantes aussi, mais dans beaucoup de cas, des interventions relativement courtes permettent de former rapidement des personnes qui disposent déjà de compétences transférables. Beaucoup de demandeurs d’emploi sont en attente de ce type de dispositifs, qui passent par des formations courtes de quelques semaines à 3 ou 4 mois.

La plateforme est au stade du prototype, et nous l’appelons pour le moment « Former Recruter », ce qui résume bien sa vocation. Il s’agit bien de dire aux demandeurs d’emploi « formez-vous pour être recrutés » et aux entreprises « formez pour recruter ». Nous avons fait le choix de construire cet outil « from scratch », en mode « start-up interne », tout en se servant de l’existant.

 

Les entreprises connaissent-elles bien ces dispositifs de formation à l’embauche ?

Nous avons interrogé une centaine d’entreprises sur deux questions : « êtes-vous prêtes à former pour recruter ? » Et « connaissez-vous les dispositifs de formation à l’embauche ? » Il s’est avéré que 80% des entreprises se disaient intéressées par la formation à l’embauche, mais que moins de 10% avaient entendu parler des dispositifs… 90 000 salariés bénéficiaires, cela reste peu par rapport au nombre d’entreprises et l’étendue des besoins. Notre cible, ce sont les TPE-PME. Les dispositifs de formation à l’embauche sont très souvent mobilisés par les grandes entreprises. Ce qui nous intéresse, c’est que notre plateforme soit utilisée par des entreprises qui n’ont pas de service RH.

Nous allons donc déployer une campagne de communication à la fois interne et externe sur la fusion des deux dispositifs AFPR et POEI et sur les nouvelles règles. Un peu comme nous avons pu le faire il y a 2 ou 3 ans pour un autre outil, l’immersion professionnelle, objet d’une autre plateforme intitulée « Immersion facilitée ». Nous allons organiser des webinaires à destination des entreprises et des branches notamment, à une fréquence très forte.

Il s’agit de faire connaître le dispositif, de montrer qu’il n’est pas compliqué d’accès, que la formation à l’embauche peut se faire suivant des modalités pédagogiques différentes, avec ou sans organisme de formation, via le tutorat, en formation en situation de travail… L’idée est d’expliquer que parfois, plutôt que d’attendre de trouver le mouton à 5 pattes, il est plus avantageux de se tourner vers des candidats qui ont juste besoin de ce petit marchepied de formation pour être opérationnels. Nous voulons montrer aux TPE-PME qu’il existe souvent des solutions relativement simples et rapides à leurs besoins de compétences.

 

Au-delà des dispositifs les plus utilisés, existe-t-il des expérimentations ou des aides qui gagnent à être connues ?

Nous renouvelons actuellement, dans le cadre du PIC, notre marché de formations « 100% à distance ». Il s’agit de formations que vous pouvez suivre chez vous ou depuis un tiers lieu, si vous n’êtes disponible que sur une période réduite de la journée – par exemple si vous êtes mère au foyer ou un travailleur à temps partiel. Ce sont des formations qui alternent le synchrone et l’asynchrone, avec des temps collectifs ou individuels autour de coaches ou de formateurs, et des temps de cours sans interaction. Cela permet de toucher des personnes qui ne pourraient pas suivre les horaires habituels de formation présentielle ou hybride.

Nous poursuivons également nos efforts pour développer l’accès à la formation des personnes en insertion professionnelle, en lien avec tout le milieu de l’insertion par l’activité économique (IAE). L’année dernière, par ailleurs, nous avions mis l’accent sur l’accès à la formation des seniors, qui ont parfois besoin de modalités adaptées ; nous continuons à développer ce sujet cette année.

 

Où en est la pénurie de compétences ?

L’économie semble ralentir un peu, mais il y a toujours beaucoup d’emplois disponibles. Le site de France Travail affiche plus de 1,2 million d’offres. Il y a encore beaucoup de secteurs et de métiers en tension. Dans le cadre du 2e volet du plan de lutte contre les tensions de recrutement, nous nous sommes intéressés aux viviers sectoriels. Il s’agit de secteurs bien identifiés, l’hôtellerie-restauration, les métiers de la santé et du soin, les transports, l’industrie… Dans ces domaines, il y a toujours d’importants besoins en emploi, en compétences et donc en formation.

Les réponses varient suivant les contextes et les diagnostics RH : une région comme les Pays de la Loire, qui est à la limite du plein emploi, ne requiert pas le même type d’interventions que les Hauts de France, où le chômage reste élevé. De même, tous les métiers en tensions n’appellent pas le même type de solutions : selon que vous avez besoin d’infirmières, un métier qui exige une formation de 3 ans, ou de serveurs, les outils et les réponses ne seront pas les mêmes ! Il y a toujours besoin d’une variété d’outils pour répondre aux tensions de recrutement qui persistent.

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