Entre vous & nous – De la VAE à la VAE inversée : retour sur les apports du « Rapport Rivoire »

Entre vous & nous - De la VAE à la VAE inversée : retour sur les apports du « Rapport Rivoire »


Le dispositif de la VAE, Validation des Acquis et de l’Expérience, lancé en 2002, permet aux salariés de transformer leur expérience professionnelle en diplômes et certifications. Le 15 mai 2022, le rapport « Libérer la VAE » est remis à Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. Depuis mai 2023, la VAE inversée est en cours d’expérimentation. Entretien avec David Rivoire, spécialiste de la VAE, co-auteur du rapport et consultant indépendant.

20 ans après le lancement de la VAE, vous remettez, aux côtés de Claire Khecha et Yanic Soubien, le « Rapport Rivoire » à Elisabeth Borne. Quel était l’objectif de ce rapport et qu’a-t-il démontré ? 

Pour reprendre les termes d’Antoine Foucher – qui était à l’époque directeur de cabinet de Muriel Pénicaud – l’objectif de ce rapport était de proposer un « Big Bang de la VAE ». En 2019, lorsque nous sommes missionnés par le gouvernement, plusieurs rapports sur la VAE ont déjà été réalisés et tous tirent les mêmes conclusions sans jamais entraîner de changements significatifs. Nous ne voulions pas réaliser un énième rapport qui n’aboutierait à rien mais, au contraire, proposer une vision globale et systémique pour véritablement faire bouger les lignes. D’où le terme de « Big Bang ». 

La VAE existait depuis une vingtaine d’années. Tout le monde s’accordait à dire qu’il s’agissait d’un dispositif formidable, mais dysfonctionnel. Nous souhaitions, à travers ce rapport, faire fonctionner la VAE, la faire émerger comme un outil majeur. 

Pour le concevoir, Claire, Yanic et moi-même sommes allés à la rencontre des principaux acteurs de la VAE, à savoir, certificateurs, bénéficiaires, Pôle Emploi, branches professionnelles, OPCO, entreprises, etc. Au fil des échanges, nous avons constaté une réalité qui était déjà bien ancrée dans les esprits : la lourdeur du dispositif, notamment au niveau administratif, générait des échecs, des abandons et du découragement. Notre deuxième constat conscernait l’hétérogénéité extrêmement forte du traitement des parcours dû à la multiplicité des acteurs et des diplômes. D’une loi commune se dessinait des milliers de chemins différents. 

Enfin, deux ans également après la loi Avenir professionnel[1] et le début de l’AFEST[2],  le rapport a permis de confirmer l’impact bénéfique de la VAE sur les apprenants, ainsi que l’importance de l’expérience, de la mise en situation réelle, dans la formation. 

Concrètement, qu’aviez-vous proposé à travers ce rapport sur la VAE ?

Nous avons conçu ce rapport en deux étapes. La première consistait à mettre de l’huile dans les rouages afin que le dispositif fonctionne. La deuxième étape était de proposer des solutions pour le renforcer. 

Lors de cette première étape, nous avons constaté que le mécanisme de recevabilité – qui détermine si un candidat est éligible ou non à la VAE – était défaillant. Il intervenait beaucoup trop tard dans le dispositif, prenait trop de temps et surtout, était géré par les certificateurs. xLe candidat devait alors choisir un diplôme, soumettre sa candidature et attendre de savoir s’il était recevable. Nous avons donc recommandé la suppression du processus de recevabilité et son remplacement par un mécanisme de « faisabilité », neutre vis-à-vis des certificateurs, au début du parcours de VAE. Ainsi, le candidat pourrait recevoir un véritable conseil et un diagnostic éclairé sur son orientation.

De plus, la loi prévoyait une obligation d’un an d’expérience professionnelle pour entrer en VAE, ce qui compromettait l’essence même du dispositif, laissant supposer que la compétence dépend necéssairement de la durée de l’expérience. Nous avons donc proposé de supprimer cette durée légale pour se concentrer sur la véritable nature de l’expérience, permettant une évaluation plus juste des compétences.

Une autre de nos recommandations était la création d’un rôle d’architecte de parcours. Une personne chargée de l’analyse des parcours professionnels et de l’orientation des candidats. 

Quels impacts ce rapport a-t-il eu sur le dispositif de VAE ? 

D’un point de vue tout à fait personnel, pas suffisamment. 

Nous voulions un changement systémique. Cela necéssitait d’effacer l’existant et de tout reconstruire. Cependant, malgré nos propositions, le système n’a pas été complètement transformé comme nous l’avions envisagé. Certaines mesures ont été prises, mais pas toutes, ce qui a limité l’impact potentiel du changement. La durée légale a bien été supprimée, mais pas le mécanisme de recevabilité. Des rôles d’architectes de parcours ont été créés mais à des taux de prises en charge trop bas, qui ne permettent pas de travailler efficacement. 

Nous avions également proposé la mise en place d’un portefeuille numérique de compétences et un mécanisme d’open badge pour compléter le système, mais ces propositions n’ont pas été suivies d’initiatives concrètes. 

En résumé, au lieu de faire de la VAE une « cause nationale », de mettre en place des obligations vis-à-vis des certificateurs, et de considérer le rapport dans son entièreté, seules quelques briques ont été travaillées. C’est mieux que rien, mais pas suffisant pour libérer la VAE. 

En mai 2023, un décret instaure l’expérimentation de la « VAE inversée ». En quoi consiste-t-elle ? 

Un des paragraphes du rapport présentait la VAE inversée. Elle repose sur un constat simple : si la VAE permet de transformer l’expérience en diplôme – ce qui implique d’accepter que l’expérience génère de la compétence – pourquoi se contenter d’un dispositif qui ne permettrait que de « réparer l’anomalie » ? Par anomalie, j’entends l’idée selon laquelle quitter le système scolaire sans être diplômé est considéré comme anormal par la société. Donc, pourquoi ne pas inverser cette logique en concevant un programme de formation basé sur l’acquisition d’expérience et de compétences plutôt que sur la théorie ? Cela permettrait de répondre aux besoins de toutes les personnes qui quittent le système scolaire sans diplôme et pour lesquelles les mécanismes de réinsertion professionnelle ne sont pas suffisants à l’heure actuelle.

La VAE inversée repose sur un principe simple et ancestral : l’homme a toujours appris par mimétisme, comme le font les compagnons depuis des siècles. C’est seulement après les années 70 et la loi Delors[3] que nous avons adopté un modèle de formation plus traditionnel, en mettant les gens dans des salles de classe, malgré le constat que la majorité des connaissances transmises de cette manière sont rapidement oubliées. Nous avons donc proposé cette approche de la “VAE inversée”, qui n’est rien d’autre que la formation en situation de travail suivie d’une validation des acquis par un jury, permettant ainsi de diplômer un parcours expérientiel.

Le principe est simplement de créer un cadre pédagogique, économique et juridique pour que la formation en situation de travail puisse fonctionner efficacement. Malheureusement, le terme “VAE inversée” est mal choisi et a suscité des incompréhensions. En réalité, il aurait été plus juste de qualifier cette approche de “contrat de formation en situation de travail à option diplômante par la validation d’acquis”.

Début 2024, avons-nous des premiers retours de cette expérimentation ? 

Le manque de clarté de la VAE inversée fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec un dispositif qui ressemble davantage à un système de formation classique, où la formation en situation de travail devient presque accessoire. Ainsi, nous en arrivons à un système de formation qui devient assez flou, alors que le concept de départ est en réalité très simple : apprendre en faisant. À la fin, il suffit d’être évalué par un jury, voire d’être évalué progressivement tout au long du processus. Cette approche pourrait considérablement moderniser notre système éducatif en nous permettant de sortir du modèle traditionnel « apprend, passe un examen et applique ».

Donc, pour revenir à l’expérimentation en cours, les premiers dossiers commencent tout juste à être traités. La mise en place du dispositif a pris pas mal de temps. C’est encore un peu laborieux. Nous manquons de recul sur ce test. C’est une révolution douce qui passe un peu inaperçue, mais qui représente en réalité une révolution totale. A posteriori, je me rends compte que le véritable changement réside dans l’acceptation de la formation par l’expérience, bien plus que dans les améliorations apportées au système existant.

Enfin, selon vous, la VAE inversée est-elle une solution viable pour garantir l’employabilité ? 

Il y a des évidences. On assiste à une rupture totale avec la notion de travail, les secteurs en tension se multiplient, les salariés ne trouvent plus de sens à leur emploi… Selon moi, il est illusoire de penser que notre système scolaire actuel puisse être une solution unique à ces bouleversements. Nous entrons dans une ère qui exige une agilité extrême et une adaptation constante, en raison des évolutions rapides telles que l’intelligence artificielle. Enfermer les individus dans une salle de classe ne leur permettra pas d’acquérir les compétences nécessaires de demain. 

Le vrai défi, selon moi, est de repenser nos méthodes éducatives. Le parcours de formation idéal devrait être personnalisé, accompagné par un coach et appuyé par une vaste base de données accessible en ligne. Il faut mettre les individus en situation dès que possible et les encourager à rechercher les informations dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin.

Peu importe le niveau de formation, je crois que si nous parvenons à intégrer trois dimensions – parcours personnel et expérientiel, coaching individuel et base de données commune – nous aurons plus de chances de succès. Bien sûr, cela perturbera le fonctionnement des écoles traditionnelles, mais c’est une nouvelle manière de faire qui me semble plus efficace. Nous devons nous orienter vers un modèle plus flexible et adaptatif.
 


[1] Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel »

[2] Action de Formation en Situation de Travail

[3] La loi du 16 juillet 1971, dite loi Delors, est la première loi emblématique relative à l’organisation de la formation professionnelle en France. 



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