La relation apprenante est la grande innovation pédagogique de la fin du 20ième siècle avec, en 1981, le lancement du fameux Personal Computer (Pc), le poste de travail à domicile qui pouvait recevoir une relation numérique personnelle avec les fameux modems Internet et les lignes téléphoniques analogiques. La relation apprenante était « one to one » et top-down. En 1993, la relation 1.0 devient 2.0 et le top-down s’enrichit du bottom-up. La relation se faisait dans les deux sens. C’est une individualisation des parcours de formation. Aujourd’hui, de nombreuses questions se posent. La relation existe, mais comment la rendre plus fluide ? Comment optimiser une relation pour que chacun puisse apprendre l’ensemble des compétences dont il a besoin dans les meilleures conditions ? Voici trois pistes complémentaires.
1, Afficher sa promesse formative
Si la première moitié du 20ième siècle est celle des classes sociales, la seconde moitié est celle de l’émiettement de la formation pour reprendre le titre de Georges Friedmann (Le travail en miettes, 1954). Les formations pensées en masse ont commencé à s’individualiser. Certains y voient une politique pour lutter contre la logique des classes sociales et la fameuse lutte des classes. Georges Friedman a montré qu’à force d’émietter la formation, elle perd de son sens. Ce que l’on gagne en individualisation des parcours, on le perd en finalité et forcément en motivation de la part des apprenants. La contrepartie de l’individualisation des parcours est le besoin de refaire du collectif. C’est le travail du marketing de la formation. Plus l’apprenant est libre de ses engagements, plus il est nécessaire d’orienter cette liberté, de donner envie d’adhérer à un projet collectif qui fasse sens avec la stratégie de transformation de l’entreprise.
C’est l’émergence de nouvelles pratiques de formation. Si l’on regarde l’évolution des titres de formation, ils sont au mieux informatifs, mais pas toujours, et ils ne sont pas tournés vers l’apprenant. Or si la cible affichée est bien l’apprenant, le titre comme accroche doit annoncer ce que cette formation doit lui apporter. C’est pour cela que c’est développé par exemple, la technique du pitch qui n’est pas centré sur l’OPCO, en faisant référence à un référentiel métier, mais sur ce que la formation peut apporter concrètement à l’apprenant en insistant tout à la fois sur une argumentation rationnelle, « faire la réclame » de la formation ainsi qu’une argumentation émotionnelle pour susciter son engagement. Remettre l’apprenant au centre de la relation, c’est connaître son interlocuteur et lui proposer une argumentation personnalisée. Si l’on croit dans l’autonomie de l’apprenant, c’est lui donner matière à nourrir son autonomie au sens cartésien du terme.
C’est la politique du learnal branding, une politique de marque appliquée à la formation. La première étape d’une marque est de faire une promesse : sur quoi la formation s’engage a priori. Mais, dans un monde de la défiance où la parole est démonétisée, afficher son ambition est nécessaire mais non suffisant. Il faut mettre en place une politique conquête de crédit social pour construire la confiance. Traditionnellement, il s’agit de choisir des indicateurs précis et de permettre à tous ceux qui le désirent de suivre régulièrement l’évolution de ces indicateurs afin d’assurer un crédit et une transparence par les métriques. Enfin, il s’agit de faire un bilan de l’obtention ou non des résultats, de proposer des ajustements ou des changements de promesse en fonction de ces dits résultats. Ainsi, de promesse en promesse, la formation fait progrès social. La relation apprenante est un politique qui reconstruit la confiance dans l’avenir et surtout dans les porteurs de cette confiance.
2, Construire une qualité relationnelle
La notion de qualité fait l’unanimité dans notre paradigme pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle ne veut pas dire grand-chose, ce qui fait que tout le monde peut y adhérer quelle que soit la définition de chacun. A minima, il est nécessaire de dire de quelle définition il s’agit, et là, la belle unanimité pourrait avoir des écarts significatifs. Et second point, cela s’inscrit dans la philosophie de l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF), avec par exemple la volonté de créer des ingénieurs pédagogiques, qui répond à la symbolique de la qualité industrielle. Qu’est-ce qui change ? La qualité des experts n’est pas la qualité des apprenants. Le 20ième siècle, siècle des experts laisse place au siècle des apprenants. Autrement dit, développer une politique de l’engagement volontaire passe la création d’indicateurs de qualité, qui débute par l’engagement avec un like ou comme taux de satisfaction, par exemple, mais qui peut aller jusqu’au Learner Generated Content (LGC), voire la pairagogie. La qualité est dynamique.
La relation apprenante est souvent perçue comme une simple lutte contre les « points noirs » de la formation, les dysfonctionnements, comme les temps de réponse. Effectivement, si une relation négative peut qualifier une relation, il est nécessaire de proposer une relation positive perçue, l’effet waouh. Par exemple, les agents conversationnels peuvent répondre 24h sur 24, 7 jours sur 7, avec une empathie et un professionnalisme rares. C’est ce qu’on appelle le selfcare, faire en sorte que l’apprenant règle lui-même son problème par un accompagnement, voir un tutos. Et si l’on veut aller plus loin, le LLM peut devenir un assistant numérique capable de régler des problèmes automatiquement et/ou de prendre automatiquement un rendez-vous en tenant compte de toutes les contraintes d’agendas. Réenchanter la relation pour les apprenants nécessite de le piloter.
Les LLM sont des atouts extraordinaires, étymologiquement qui sortent de l’ordinaire, pour améliorer la qualité relationnelle grâce à une écoute conversationnelle. Cette écoute est RGPD friendly pour peu que la donnée soit anonymisée avec l’analyse par synthèses par exemple. La conversation devient un outil de connaissance du besoin des apprenants, dans la demande elle-même, mais aussi dans la formulation de cette demande avec une évaluation de la maturité des connaissances et des compétences avec l’analyse des wordings par exemple. Mais être à l’écoute nécessite de tenir compte de cette écoute et de proposer de s’adapter à ces situations. Construire un service de formation agile. Et surtout communiquer sur l’écoute et les conséquences de cette écoute entendue pour nourrir la confiance dans la marque de la formation.
3, Construire une relation durable
Les LLM (Large Language Model) sont engagés dans la relation apprenante par leur usage d’agent conversationnelle, avoir un bot plus efficace qui entretient la relation. Comment cela est-il perçu par les usagers ? Selon une étude américaine du 28 avril 2023 (https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2804309), les usagers préfèrent l’échange avec la machine qu’avec l’expert dans 78, 6 % des cas. La machine est 3,6 fois plus efficace que l’homme sur le fond et 10 fois plus en empathie. Les LLM prennent le temps d’écouter l’usager et de lui trouver une réponse qui s’explique mieux. La reformulation infinie permet de trouver la juste solution avec l’usager, sans le sentiment d’être jugé. Le LLM est un bon pédagogue pour accompagner l’apprenant sur le chemin de ses apprentissages.
Les LLM développent un sentiment de prise en compte pour l’apprenant avec bienveillance, il est possible de programmer la posture émotionnelle de notre interlocuteur : plus autoritaire ou plus fun par exemple. Et la machine simulera la posture demandée. Il n’est pas étonnant que comme l’avait noté Serge Tisseron, cela développe une « empathie numérique » (Subjectivation et empathie dans le monde numérique, 2013). L’apprenant développe une relation apprenante affective qui favorise l’apprentissage, le plaisir d’apprendre, et donc la fidélisation. Character.AI plateforme de chabots qui vient d’être rachetée par Google, construit des relations avec des personnages romanesques, historiques, mais aussi des experts métier. L’usager peut construire une relation émotionnelle avec toute la palette des émotions que chacun préfère. La relation apprenante a tout pour devenir durable et permettre une fidélisation de l’apprenant.
L’entreprise a intérêt à investir dans l’enrichissement massif de la relation et ce d’autant qu’avec la RAG (Retrieval Augmented Generation), elle peut nourrit le LLM avec les spécificités de ses pratiques et ainsi profiter du LLM général avec ses propres spécificités, un formateur interne 24h sur 24, 7 jours sur 7. Mais pour permettre son adoption, le service formation doit sortir de l’enfance, étymologique celui qui n’a pas le droit à la parole, pour apprendre à parler pour « mettre en société » l’accompagnement numérique. « L’essayer, c’est l’adopter » (vieux slogan de réclame de la fin du 19ième siècle), encore faut-il organiser le passage à l’acte et la socialisation de ces potentialités. C’est tout le travail du service de formation, constituer socialement les nouvelles formes de la formation. Construire la relation qui prenne en compte la sociologie nouvelle des apprenants pour en faire une aventure partagée, une communion apprenante.
Le service de la relation apprenante devient un service d’écoute de la résonnance des apprenants avec une navigation push pull pour construire une adhésion partagée. Faire histoire, faire des histoires qui prennent en compte tout à la fois la raison, l’émotion et la relation pour construire une culture qui donne envie d’apprendre, mais aussi qui fasse sens, Harmut Rosa parle de pédagogie de la résonance (2023). La relation apprenante est un outil au service de la formation, reste aux artisans d’apprendre à utiliser cet outil, d’ailleurs étymologiquement artisan signifie mettre son art au service d’autrui, poser une promesse qui fasse résonance avec la société. La formation est la promesse d’un monde meilleur, reste à définir en quoi et le faire savoir pour faciliter le cheminement : une transformation heureuse.
Fait à Paris, le 29 octobre 2024
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