Comment la supbox, un outil numérique hors ligne, facilite l’accès au supérieur en milieu carcéral ?

Comment la supbox, un outil numérique hors ligne, facilite l'accès au supérieur en milieu carcéral ?


Par

Marine Dessaux
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Expérience étudiante

Pour favoriser l’accès à l’enseignement supérieur des personnes incarcérées en l’absence d’internet, l’Université Rennes 2 a développé une « supbox ». L’objectif ? Recréer un espace numérique de travail hors ligne dans les centres pénitentiaires de Rennes et, à terme, déployer cette solution au niveau national. Retour sur ce projet labellisé « Campus connecté », les jalons atteints et les problématiques qu’il reste à traiter.


Le projet supbox a gagné en envergure lorsqu’il a été sélectionné par l’AAP Campus connectés. - © Unsplash/John Schnobrich
Le projet supbox a gagné en envergure lorsqu’il a été sélectionné par l’AAP Campus connectés. – © Unsplash/John Schnobrich

Alors que, pour le primaire et le secondaire, l’enseignement dans les établissements pénitentiaires est assuré par des écoles pilotées par les unités pédagogiques régionales (UPR), dans le supérieur, il se fait en lien avec les universités locales. À Rennes, il se fait notamment en lien avec l’Université Rennes 2.

En 2018, l’établissement breton cherche à améliorer les conditions d’étude des étudiants incarcérés qui, sans accès à internet, doivent étudier sur des cours imprimés qui n’offrent pas toutes les possibilités du digital. Il imagine donc une « supbox » qui réplique un espace numérique de travail hors ligne.

Le projet gagne en envergure, en 2021, avec la labellisation Campus connecté, un appel à projets financé dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) 3. « Il s’agit d’un format très original, seuls deux campus connectés en centres pénitentiaires existent en France : à Rennes et à Caen. L’objectif à long terme est de généraliser cette offre », retrace Nicolas Klutchnikoff, vice-président transition numérique de l’Université Rennes 2.

Adapter les contenus d’autres universités

Pour remplir les attentes du jury du PIA, ce campus connecté doit pouvoir accueillir des formations d’autres universités françaises. C’est le cas par exemple avec l’Université de Rouen pour la formation en droit ou de l’Université ouverte des humanités avec les contenus du consortium Ecri+.

« Pour un cours de statistiques, l’objectif était de mettre la totalité du cours, la version numérique d’un livre, mais aussi l’équivalent hors ligne d’un site internet. L’intégration d’Ecri+ a été possible grâce à la collaboration avec les équipes techniques du consortium », illustre François Gilbert, ingénieur techno-pédagogique pour le projet campus connecté.

Concrètement, la supbox consiste en un boîtier Raspberry Pi sur lequel des documents, des cours en visioconférence, des dictionnaires et d’autres ressources comme Kiwix, la version hors ligne de Wikipédia, ont été intégrés.

D’autres projets consistent à intégrer des évaluations adaptatives ou encore le moteur de recherche de la bibliothèque universitaire de Rennes 2, afin « d’acquérir des compétences typiques de la recherche documentaire, une action aujourd’hui déléguée à un documentaliste », indique François Gilbert.

Les étudiants des centres pénitentiaires de Rennes peuvent emprunter des livres de la BU de l’Université Rennes 2. - © Université Rennes 2

Les étudiants des centres pénitentiaires de Rennes peuvent emprunter des livres de la BU de l’Université Rennes 2. – © Université Rennes 2

Des mises à jour nécessaires… mais un financement à durée limitée

Pour l’heure, la supbox nécessite des mises à jour régulières : François Gilbert se rend deux fois par mois au sein du centre pénitentiaire avec une nouvelle carte mémoire. « Notre perspective est de concevoir une box sans mise à jour, à partir de contenus qui n’évoluent pas, comme avec la formation Ecri+ qui fait l’état de l’art dans l’évaluation des compétences en français », explique l’ingénieur pédagogique.

Cependant, le financement du projet a une durée déterminée. En effet, en plus du PIA, « la région Bretagne, l’université et l’administration pénitentiaire apportent 50 % du financement d’un poste de responsable de projet pour Rennes 2, liste François Gilbert. Actuellement, nous avons assez pour tenir encore jusqu’en 2027. Mais nous nous interrogeons sur la façon de poursuivre, car ce poste sera toujours pertinent après cette date. »

Il faut donc désormais réfléchir à la continuité du projet supbox après 2027. « Nous allons discuter avec le ministère de la Justice, car ce ne sera pas possible de poursuivre sur les ressources seules de l’Université Rennes 2 », explique Nicolas Klutchnikoff.

Des effectifs faibles et quelques interruptions d’études, mais une haute valeur ajoutée

De manière générale, il y a peu d’étudiants incarcérés en études supérieures, le Grand Ouest en compte une centaine sur 7500 personnes incarcérées et scolarisées (chiffres 2022-2023). Ce qui s’explique en grande partie par « le niveau scolaire qui souvent n’est pas suffisant pour les études supérieures », selon Daniel Menoud, proviseur de l’unité pédagogique du Grand Ouest. Mais aussi parce que « les détenus travaillent dans la journée ».

L’Université Rennes 2 enregistre 130 étudiants incarcérés partout en France. Deux éléments la rendent particulièrement attractive : sa gratuité (les étudiants n’ont d’ailleurs plus à payer la contribution de vie étudiante et de campus comme cela avait été initialement prévu par la législation) et les disciplines qu’elle est la seule à proposer pour ces publics : l’accompagnant éducatif et social ainsi que la psychologie.

Les études représentent une possibilité de quitter sa cellule, de voir du monde.

Le campus connecté rennais a lui une douzaine d’étudiantes et une demi-douzaine d’étudiants. « Au centre pénitentiaire des femmes, nous comptabilisons plusieurs arrêts, notamment à cause de la charge de travail qui peut être importante, rapporte Daniel Menoud. Les femmes ne sont pas en cellule tout le temps, car une partie de l’établissement est un centre de détention. À l’inverse, pour le centre pénitentiaire homme, qui est une maison d’arrêt, il faut être accompagné pour sortir. Les études représentent donc une possibilité de quitter sa cellule, de voir du monde. »

Inspirer quelques reprises d’études

L’année passée, 18 diplômes ont été validés. Principalement des licences, car « le niveau master est plus difficile à obtenir, notamment en raison de stages obligatoires dans certaines disciplines. Ce qui n’empêche pas quelques étudiants de continuer après leur détention, et d’aller exceptionnellement jusqu’au doctorat », estime Daniel Menoud.

Face aux plus de 20000 étudiants de l’Université Rennes 2, ces effectifs peuvent sembler extrêmement faibles. Mais, « il n’est pas raisonnable de faire un ratio quantitatif pour ce genre d’initiatives », estime Daniel Menoud.

Et puis, « cela fait partie des missions de l’université de s’intéresser à ces publics », souligne Nicolas Klutchnikoff.

La Fédération des associations de Haute-Bretagne, l’administration pénitentiaire et l’Université de Rennes 2 ont signé une convention pour organiser du tutorat auprès des étudiants incarcérés. - © Campus Matin

La Fédération des associations de Haute-Bretagne, l’administration pénitentiaire et l’Université de Rennes 2 ont signé une convention pour organiser du tutorat auprès des étudiants incarcérés. – © Campus Matin

Tutorat par les pairs

L’Université Rennes 2 a également mis en place depuis la rentrée 2023, du tutorat par la Fédération des associations de Haute-Bretagne (Fahb) à destination des personnes incarcérées. Une initiative issue d’une convention tripartite entre l’Université Rennes 2, la Fahb et l’UPR Grand Ouest.

Pour participer à ce tutorat, les étudiants accompagnants doivent être au niveau L3 au minimum. En binôme, ils suivent un étudiant incarcéré, de la rentrée jusqu’aux rattrapages, à raison d’une heure et demie toutes les deux semaines, pour un total de 61 heures par an. Un engagement valorisé dans les cursus.

« Il s’agit souvent de personnes en manque d’autonomie pour les études, ils ont donc besoin de temps et d’accompagnement humain », explique Daniel Menoud. Le tutorat est un moment privilégié pour réviser, car les détenus, n’étant pas toujours seuls en cellule, n’ont pas toujours les conditions pour étudier sereinement.

Accompagner l’utilisation de la supbox

« Nous nous rendons dans les salles informatiques des centres pénitentiaires et expliquons comment accéder aux cours sur la supbox, explique Youna Godard, chargée de mission de la Fahb qui a participé à ce dispositif. Nous nous réunissons également entre tuteurs pour échanger sur : comment aider au mieux ? Comment décaler sa posture si le détenu me parle de pourquoi il est là? »

Pour l’année 2024-2025, la Fabh peut compter sur une trentaine d’étudiants tuteurs intéressés. « En 2023-2024, nous avions majoritairement des étudiants de l’Université Rennes 2 qui faisaient du tutorat méthodologique et le lien avec l’enseignant. Nous avons recruté pour l’année prochaine des étudiants en droit pour du soutien dans cette discipline », raconte Youna Godard.

Les tuteurs suivront au mois de septembre une formation sur le tutorat qui abordera également des éléments de prévention sur cet environnement particulier.



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